Révisons nos classiques : Blade Runner (1982)

En 1982 sortit sur les écrans le 3e film de Ridley Scott, un réalisateur très attendu depuis son mémorable Alien (1979). Le film est très librement inspiré d’un roman de Philip K. Dick, sorti en 1968 :  Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Il faut bien avouer que le film n’a que peu de rapport avec le livre).

Dans les rôles principaux, on trouve un certain Harrison Ford, la star qui vient d’enchaîner l’Empire contre-attaque et Les aventuriers de l’arche perdue, et qui semble vouloir changer de registre. Il y a aussi Rudger Hauer, autre acteur chevronné (mais surtout connu en Europe) et les presque débutantes Sean Young et Daryl Hannah.

Le pitch : en 2019, à Los Angeles, Deckard (Harrison Ford), ancien « blade runner », reprend du service pour traquer et éliminer 4 réplicants extrêmement dangereux : Pris (Daryl Hannah), Zhora, Leon et Roy (Rudger Hauer), leur chef.

Bon, alors là quelques définitions s’imposent… Un Réplicant est un humain artificiel, fabriqué de toutes pièces pour servir dans les colonies interplanétaires. Il est plus fort et plus résistant qu’un humain, et (normalement) dépourvu des émotions qui nous caractérisent.

Un Blade runner (terme difficile à traduire) est un agent gouvernemental chargé d’éliminer les Réplicants qui présentent un comportement déviant (ou qui tout simplement refusent d’être des esclaves).

Un film incompris à sa sortie

A sa sortie, bien qu’une voix off ait été greffée sur le film, et que la fin en ait été changée, Blade Runner est un échec commercial. Trop intellectuel et trop compliqué pour les spectateurs, qui s’attendaient à un nouveau film d’aventure familial avec Harrison Ford. Trop sombre et pessimiste aussi, sans doute. Il faudra attendre des années avant que l’œuvre accède au statut de film culte, et influence un grand nombre d’autres cinéastes. En 2007, Ridley en sort un final cut, en version restaurée, plus conforme à sa vision (sans voix off et avec une fin plus abrupte).

Chose intéressante, Philip K.Dick s’est enthousiasmé pour le projet, avec en avoir vu un reportage TV en 1981. Il mourut quelques mois plus tard, sans avoir vu le film (dommage). Dans une lettre, adressée au responsable de communication du film, il disait ceci : « L’impact de BLADE RUNNER va tout simplement être écrasant, à la fois pour le public et pour ​​la créativité des gens et, je crois, pour la science-fiction en tant que domaine […] Ce n’est pas de l’évasion, c’est du super réalisme, si courageux, convaincant et authentique, et fichtrement détaillé, qu’après la séquence, eh bien, j’ai trouvé pâle en comparaison ma norme de « réalité » à ce jour »

Le style Blade Runner

Si plus de 30 ans après sa sortie, le film arrive encore à vous scotcher sur votre fauteuil, ce n’est pas un hasard. Il y a un travail démentiel effectué sur les décors, la lumière, les costumes, à une époque où la génération d’images par ordinateur n’existait pas. Il y a aussi de la part de Ridley Scott la volonté de faire du « futurisme » et de s’éloigner le plus possible des films de SF à à la Star Wars…(une approche déjà initiée sur Alien). Les véhicules volants sont pensés comme des véhicules réels, les architectures et le mobilier urbain sont plausibles, et nous immergent complètement dans le film. Le tout a finalement un look un peu rétro, comme si nous regardions un film d’après guerre, alors que nous sommes dans le futur !

Cet univers est très proche de nous. Il est tellement concret qu’il engendre un sentiment d’inconfort quand nous voyons ces images de ciel pollué, de pluie permanente, de déchets accumulés aux coins des rues, de bâtiments délabrés, le tout dans une obscurité permanente (on ne voit quasiment jamais la lumière du jour, tout se passe la nuit ou dans des endroits mal éclairés). En cette période obscure (littéralement), il y a une vraie fracture sociale, avec d’un côté les vagabonds et autres exclus qui vivent dans les ruelles sordides, et de l’autre les classes supérieures, comme Tyrell, qui vivent littéralement au-dessus du bas peuple, dans un environnement luxueux qui ressemble à un temple égyptien…

Le futur n’est pas rose en 2019… De nombreuses espèces animales ont disparu, et le commerce d’animaux artificiels prospère… Cet élément clé est amené progressivement dans le film, d’abord avec le hibou de Tyrell (artificiel évidemment), puis avec le souk visité par Deckard au cours de son enquête, où il se renseigne auprès de généticiens fabricants de bestioles en tout genre. La prochaine étape après la création d’animaux artificiels ? La création d’humains artificiels, évidemment… Pas de trace de végétation non plus, ni d’arbre dans la métropole crépusculaire.

Los Angeles 2019, c’est aussi un mélange étonnant de toutes les cultures du monde : asiatique, latino, moyen-oriental… Un des policiers du film (incarné par Edwards James Olmos)  s’exprime d’ailleurs dans un argot local mêlant japonais, espagnol et allemand.  Les personnages que l’on croise dans le film sont à l’avenant, ils semblent sortir d’un manga ou d’un polar des années 60… En fait, en termes d’ambiance, ça ressemble à un album de Bilal…

Pour finir, que serait ce film sans la musique envoutante de Vangelis ? La scène d’intro du film, où l’on survole une mégapole embrumée, avec des jets de flammes et des voitures voilantes, est magnifiée par la musique électronique, c’est le premier choc du film… Il est intéressant ce constater que Vangelis a fait le contraire de qu’a fait John Williams sur Star Wars. Au lieu de plaquer de la musique symphonique sur un design futuriste, il utilise une musique électro sur un design plutôt retro… D’où un sentiment d’étrangeté quand on contemple des scènes qui semblent tirées d’un film noir (la pluie, le détective en imperméable) et qu’on entend du synthétiseur, où se mêlent des bruits urbains (sirènes et autres bruits de circulation). Vangelis manie aussi bien le lyrisme que l’émotion, avec cette petite mélodie de piano désaccordé, qui accompagne le vague à l’âme de Deckard, quand il regarde de vieilles photos de famille.

Un univers impitoyable

L’univers de Blade Runner, sombre et déprimant, n’est pas ce qui dérange le plus. Ce qui choque, c’est le job de Deckard, chargé d’assassiner des Réplicants qui, en fait, ne se différencient pas tellement des humains. Ils ont développé des émotions, souffrent et meurent exactement comme nous. Pas de rouages cachés à l’intérieur, pas de sang blanc (comme dans Alien) : les Nexus 6 qui sont traqués par Deckard sont « plus humains que l’humain ».

Dans ce contexte, Harrison Ford incarne le rôle d’un tueur professionnel, cynique et désabusé. Un rôle peu sympathique, surtout lors de l’éprouvant passage où il débusque et élimine Zhorah, la femme au serpent. Au fil du récit, Deckard décide de protéger Rachel, une Réplicante de dernière génération, ce qui montre que ce n’est pas un personnage irrécupérable, et qu’il est capable d’empathie. Néanmoins, on peut comprendre que les spectateurs n’aient pas apprécié de voir le gentil Indiana Jones converti en tueur impitoyable et sournois.

Le parcours de Roy, mené parallèlement à celui de Deckard, est également peu réjouissant. Après une quête semée d’embuches et de meurtres (Roy élimine toutes les personnes qu’il interroge), le chef des Réplicants finit par rencontrer Tyrell (qui à l’instar d’une divinité, vit dans un palais au-dessus des nuages). Et là il apprend que lui et ses compagnons sont irrémédiablement condamnés à mourir à brève échéance, car comme l’explique Tyrell :  » Chaque fois qu’une lumière brûle deux fois plus, elle brille deux fois moins longtemps ». Bouleversé par cette révélation (on le comprend), il donne un baiser d’adieu à son créateur, avant de lui écraser la tête. La revanche du monstre de Frankenstein contre son créateur ? Le désir de vengeance ? Ou le désir d’empêcher la création d’autres Réplicants, voués à la servitude ?

Si Roy avait croisé Rachel, peut-être aurait-il changé d’avis. Elle est le chef d’œuvre de Tyrell, l’ultime aboutissement en matière de création d’humain artificiel. Une Réplicante avec des souvenirs implantés, qui ont en font l’exacte réplique d’un être humain. En tout cas, rien ne laisse paraître qu’elle est un Réplicant, sinon le test pratiqué par Deckard au début du film. La question qui se pose est de sa longévité… Tyrell a affirmé qu’il n’avait pas résolu le problème de dégradation cellulaire, qui les fait mourir au bout de quelques années. Et à la fin du film, Gaff lance un « dommage qu’elle doive mourir » qui sous-entend qu’il a choisi de laisser Rachel en paix, car elle est condamnée. (A moins qu’il sous-entende qu’un autre Blade Runner va se mettre à ses trousses ^^).

Conclusion

La réalisation de Blade Runner traverse le temps sans se démoder (si on voulait chipoter, on dirait que le vol des voitures volantes est un peu saccadé). L’immersion dans cet univers retro futuriste reste total.

Les thèmes du film sont plus que jamais d’actualité : la pollution, la disparition des animaux, ça se passe maintenant. Et la création d’intelligences artificielles et de robots toujours plus évolués, ça se passe aussi maintenant.

Blade Runner  demeure un film d’auteur, pas très abordable si on est adepte de blockbuster hollywoodien. On n’a pas toutes les réponses, on ne comprend pas toujours ce qui se passe (pourquoi Roy sauve la vie de Deckard à la fin) ? L’action n’est pas trépidante, et Ridley Scott préfère filmer longuement sa vision de Los Angeles 2019, plutôt que des courses poursuite (et pourtant quand il y a de l’action, ça ne rigole pas).

Une œuvre pas évidente, qui s’apprécie de plus en plus à chaque visionnage, quand on a conscience de la vue d’ensemble et qu’on peut se focaliser sur les détails. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un film unique en son genre (et peut-être du meilleur film de Ridley Scott à ce jour).

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