Penny Dreadful : bilan d’une série noire
En mai 2014, la chaîne Showtime diffusait le premier épisode de Penny Dreadful, une série horrifique imaginée par John Logan, se déroulant à Londres en 1891, et mettant en scène plusieurs personnages de romans bien connus dans le registre fantastique. Deux ans plus tard, après le panneau « The End » affiché à la fin du dernier épisode (mais est-ce vraiment la fin ?), c’est l’heure du bilan…
Une somptueuse plongée dans l’Angleterre victorienne
Ce n’est pas un hasard si John Logan s’intéresse à une époque historique riche en aventures fantastiques, qui fascine encore le public, et a donné lieu à une abondance de romans, films, bandes dessinées, jeux de société… Après avoir œuvré sur plusieurs récits historiques (Gladiator, Le dernier samouraï, Aviator…), John Logan s’est rapproché de la littérature anglaise en imaginant dans une pièce de théâtre la rencontre des personnages ayant inspiré Alice au pays des merveilles et Peter Pan. J’imagine qu’il était alors tentant pour ce scénariste de se confronter aux grands récits fantastiques du XIXe siècle, et de donner sa vision de cette Angleterre oubliée, à la frontière des légendes et de la modernité.
Une des grandes réussites de Penny Dreadful est cette reconstitution de Londres victorienne, une cité industrielle où les fastes de la haute société côtoient l’extrême pauvreté, et où il n’est pas rare de se faire poignarder dans une ruelle sombre. Une atmosphère brumeuse, propice à l’apparition de créatures fantastiques telles que sorcières, vampires, loup-garous, et autres démons… Il y a une qualité indéniable dans la création des costumes et des décors, et une volonté de faire dans le réalisme et dans le sérieux plutôt que dans le gothique outrancier façon Tim Burton.
Le soleil brille rarement dans cette série, qui assez désespérante dans le ton et la forme. L’ambiance est presque tout le temps oppressante, qu’il s’agisse du sordide laboratoire de Frankenstein ou du manoir abandonné de Sir Malcom. Même la demeure luxueuse de Dorian Gray, saturée de tableaux et d’œuvres d’art mets mal à l’aise par cette accumulation de biens et l’absence de fenêtres. Cette volonté de faire dans le huis-clos et dans les constructions ombreuses, dépouillées du moindre brin d’herbe, finit par devenir déprimante et la saison 3 apportera à ce niveau-là une vrai bouffée d’air frais, avec ses somptueux paysages désertiques et son soleil éclatant.
La série doit également beaucoup au choix des acteurs (notamment Timothy Dalton et Eva Green) qui rendent chacun des personnages convaincants, et leur apportent une part d’ombre et de lumière. Personne n’est en effet totalement bon ou mauvais dans Penny Dreadful, et même les héros que l’on pensait exemplaires cachent de sombres secrets. Tous sont en quête de rédemption, après avoir perpétré des actes innommables, une rédemption qui tarde à venir. Même Dorian Gray, qui parait se ficher de tout et de tout le monde, doit supporter la lassitude et l’ennui apportés par la vie éternelle.
Bref, on n’est pas vraiment en face de personnages héroïques, prêts à sauver le monde avec bonne humeur. On est plutôt face à des personnages qui essayent d’échapper à leur propre damnation et qui font le sale boulot parce qu’ils y sont contraints. Leur façon de se complaire dans les ténèbres et le désespoir finit par être assez pesante, on aimerait des fois avoir plus d’action et moins de monologues interminables !
La réinvention des mythes
Une fois que le contexte est posé, il faut s’attaquer aux mythes de l’époque et aux personnages clé de la littérature fantastique. Comment les faire exister en-dehors des livres ? Comment raconter des histoires inédites ? Comment les faire interagir entre-eux ? Sacré défit pour le scénariste, qui imagine dans un premier temps un regroupement d’aventuriers, façon Ligue des gentlemen extraordinaires, réunis dans la lutte contre une créature vampirique. Par la suite, les destins des uns et des autres évoluent, et chacun porte en lui sa propre tragédie et ses propres tourments, qui sont révélés petit à petit.
La réécriture des mythes est assez réussie, notamment la partie concernant Victor Frankenstein et sa créature, et le sournois Dorian Gray… Néanmoins, après avoir tiré tout le suc de ces personnages, John Logan ne semble pas trop savoir en faire. Et c’est un point faible de la série : l’écriture des personnages est réussie, la réinterprétation des romans est fort pertinente, mais on reste souvent sur sa faim.
Par exemple, pourquoi avoir introduit dans la 3e saison le docteur Jekyll, alors qu’il n’apporte rien à l’histoire et ne rejoindra même pas l’équipe d’aventuriers de l’occulte ? On pourrait dire la même chose de Dorian Gray et de la créature de Frankenstein, qui restent tout le temps à l’arrière plan du récit, et semblent singulièrement passifs par rapport aux évènements… On a l’impression que la recette ne prend pas, qu’il y a un manque de cohésion entre les différents récits qui entremêlement.
Au final, il reste tellement de choses en suspens que l’on se demande si cette fin de série en est vraiment une, et si les personnages ne pourraient pas se retrouver dans un spin-off, voire une suite directe. Dracula, le grand méchant de la série court toujours, les créatures du docteur Frankenstein sont dans la nature et il reste tellement de personnages à peine esquissés… On en redemande, surtout si on peut explorer d’autres parties du monde et d’autres légendes…
Au final, voici une série magnifiquement réalisée, avec un vrai potentiel malheureusement sous exploité. Des longueurs, des séquences hors-sujet (intéressantes mais inutiles du point de vue de l’histoire) et des scènes fantastiques parfois ridicules (l’interminable scène de possession de Vanessa dans la saison 1, les loups-garous de la saison 3), font que cette série n’est pas parfaite, loin de là. Néanmoins les personnages sont attachants et bien écrits, et ça vaut franchement le visionnage…