Hellboy 2019, l’Ultime Outrage
Le 21 février 2017, Guillermo del Toro annonçait sur Twitter qu’il abandonnait l’idée de tourner Hellboy 3. Un coup dur, après des années de bataille et le soutien inconditionnel des fans.
Hellboy devait-il pour autant disparaître complètement des écrans ? Il semble que non, puisque quelques mois plus tard, en mai 2017, on apprenait qu’un projet de reboot était en cours, avec Neil Marshall aux commandes, et David Harbour dans le rôle titre. C’est Mike Mignola, l’auteur des comics, qui l’annonçait personnellement sur sa page Facebook, en indiquant que le ton serait plus noir et plus horrifique que celui des précédents films.
Avant de discuter du nouveau film, il est intéressant de noter que d’après Mike Mignola, le projet de reboot de Hellboy était en cours d’écriture depuis plusieurs années.
Il y a manifestement un gros « différent artistique » entre Mignola et del Toro, ce qui explique (en partie), l’impossibilité de continuer avec le même réalisateur. Après tout, Hellboy, est le bébé de Mignola, et celui-ci a probablement voulu reprendre le contrôle sur sa création.
Au vu du résultat, on a l’impression que l’implication de Mignola a été très relative…
Hellboy 2019 est malheureusement raté sur bien des points (il a récolté 18% sur Rottentomatoes contre 81% pour la version de 2004).
Objectivement, je n’étais pas contre l’idée d’un reboot… 9 ans ont passés depuis Hellboy 2, les acteurs sont maintenant un peu trop vieux (même si j’aime beaucoup Ron Perlman). Il y a eu aussi entretemps la saga Game of Thrones , qui a profondément bouleversé la façon dont on traitait la fantasy filmée. (Et Neil Marshall en a été un des artisans). Mais…
…Le scénario est une catastrophe
Hellboy 2019 se présente comme une préquelle aux deux autres films, avec un Hellboy plus jeune, dont le père est encore en vie. Mais le film adapte les derniers volumes de Mignola, à savoir La Grande Battue et l’Ultime Tempête !
En conséquence, le film cite sans arrêt des références dont nous n’avons eu pas eu connaissance (à moins d’être un gros lecteur des comics), et qui doivent être incompréhensibles pour les non-fans… Le résultat est profondément bancal, avec de profondes incohérences dans le récit, et une histoire qui est un collage mal fait de séquences tirées des différents comics.
C’est étonnant de voir à quel point Mignola (crédité comme scénariste) a laissé déconstruire tout l’univers qu’il avait créé. Tout ce qui faisait la magie et la beauté de cet univers est passé à la moulinette, pour tenter de faire un truc cool, plus facile à digérer pour le grand public, mais qui a peu de chose à voir avec les comics.
… La réalisation craint
Neil Marshall n’est pas un mauvais bougre, j’ai beaucoup aimé ses premiers films (The Descent, Doomsday, Centurion…) et il a participé à d’excellentes séries TV (Game of Thrones, Black Sails, Westworld…).
Mais ici, il semble complètement largué, et donne l’impression d’avoir passé la plupart du temps à s’amuser avec des tas de créatures en CGI, sans trop savoir quoi en faire… Le résultat est très laid. Les bestioles sont à peine dignes d’un jeu vidéo, elles n’ont pas de consistance et de charisme. Les acteurs sont (mal) incrustés dans des effets numériques, et le résultat est assez vilain. On dirait qu’il y a très peu de décors réels, tout est photoshopé.
La réalisation manque de direction artistique et n’arrive pas à créer la moindre ambiance (alors que les comics sont avant tout basés sur l’ambiance mystérieuse et horrifique). Et les scènes d’action sont bien moins efficaces que celles d’un Marvel lambda.
Marshall a pourtant retranscrit de façon quasi littérale certaines scènes des comics… Mais il ne suffit pas d’assurer le fan-service sur une poignées de scènes pour faire tenir l’ensemble de l’édifice…
C’est le même problème que dans bon nombre d’adaptations de comics… (comme Ghost in the Shell). Le fait de refaire en live des scènes cultes ne garantit pas que l’ensemble du film possède une ambiance et une tonalité respectueuse du matériau d’origine.
Côté musique, on est aussi sur un reniement total des beaux scores de Marco Beltrami et Danny Elfman… La musique atmosphérique teintée de fantasy a laissé la place à des gros morceaux de guitare électrique, qui veulent faire croire que Hellboy est un héros rock’n roll… Un beau gâchis…
Pour finir, il faut bien parler des ces séquences gores de très mauvais goût, qui gâchent complètement l’ambiance, et qui n’ont strictement aucun intérêt, sinon de faire croire aux spectateurs que Hellboy n’est un film pour les enfants… Une piètre tentative pour épicer la réalisation, et relever le goût de cet infâme tambouille..
… les acteurs ne sont pas bons
David Harbour (Stranger Things) incarne un Hellboy bourrin, dont les réactions sont celles d’un ado coléreux, toujours en train de taper sur quelque chose ou d’insulter quelqu’un. Déjà que son relooking est particulièrement raté, c’est peu dire que son personnage manque de subtilité.
Difficile de révéler un grand jeu d’acteur avec 3 tonnes de maquillage, mais Ron Perlman y arrivait, lui ! Son Hellboy était certes un cogneur, mais c’était aussi un amoureux transi, et un être incompris, qui avait du mal à se faire une place entre le monde des humains et celui des créatures de légende. Le Hellboy de Habour n’arrive pas à susciter la moindre once d’empathie, il est juste très énervant.
Mila Jovovich, dans le rôle de Nimue, la grande méchante du film, a l’air de s’emmerder profondément, et de ne pas être vraiment là. Elle n’a jamais été une grande actrice, mais là… Elle n’inspire ni peur, ni désir (alors qu’elle est sensée charmer ses ennemis).
Il reste Ian McShane, qui joue Trevor Bruttenholm, le père (adoptif). C’est le seul acteur qui tire son épingle du jeu, mais il est complètement à l’opposé du Trevor des comics, qui est un vieillard bienveillant et humaniste. Ici, il reprend à peu près le style de son personnage dans Deadwood : arrogant, méchant, l’insulte à la bouche… Encore un changement radical incompréhensible de la part de Mignola.
Et après ?
Hellboy 2019 s’est fait éreinter par la critique, et n’aura pas de suite. C’est dommage, car il y avait certainement une place pour ce super-héros atypique, entre les productions Marvel, toutes calibrées sur le même modèle, et les tentatives (ratées pour la plupart) de DC Comics pour faire vivre ses héros à l’écran.
A ce stade, on peut se demander si Mignola n’a pas été le dindon de la farce… En avril 2019, dans un article de Vulture, il avouait qu’il n’avait vu Neil Marshall qu’un ou deux fois, et qu’il n’avait pas vraiment discuté avec lui (alors qu’il avait beaucoup travaillé avec del Toro). Il dit aussi qu’il a été peu impliqué dans le scénario. Ceci explique cela…
Ce qui fait le charme de Hellboy, est qu’il embarque avec lui tout un univers de magie, légendes celtiques, monstres chthuliens et mystères historiques. C’est cet univers de dark fantasy qui manque terriblement au film de Neil Marshall, qui est une adaptation sans âme. La faute (comme souvent) aux producteurs, qui n’ont voulu que sortir un blockbuster de plus…