Dune (David Lynch – 1984)
Quel cerveau délirant a pu concevoir un tel film, et réunir autant de talents au service d’un mutant cinématographique ? Le temps passe, et le Dune de David Lynch conserve son statut de film culte pour les uns, d’abomination pour les autres… Pour ma part, je ne peux m’empêcher de garder un certaine tendresse pour ce film, malgré ses ratages évidents.
Une direction artistique qui tient la route
Dune, c’est avant tout une direction artistique qui force le respect, même si elle peut déconcerter, voire horrifier… L’histoire se déroule dans un lointain futur mais tout a un aspect vieillot, décati et un peu décadent. L’atmosphère est globalement steampunk, et les décors et costumes évoquent l’Europe du XIXe siècle, et plus particulièrement la Russie. Cela se justifie, car dans les romans, les ordinateurs et la technologie sont bannis. On a conservé juste ce qu’il fallait pour garder un bon niveau de civilisation (des vaisseaux spatiaux par exemple).
Cette attention portée à des décors baroques et à des machines désuètes est le contrepied parfait de la trilogie Star Wars, avec ses droïdes et son plastique pimpant. Un choix audacieux, qui fait que le look global de Dune tient encore la route, même si évidemment certains effets spéciaux ont mal vieilli. Cette ambiance très spéciale se décline sur les différentes planètes et mondes que nous rencontrons dans le récit : la cour de l’Empereur, le château des Atreides, la planète des Harkonnen, les vaisseaux de la Guilde…. Dommage que ces univers ne soit que partiellement dévoilés.
Le choix de tourner de nombreuses séquences dans le désert ajoute aussi beaucoup de crédibilité (même si la 2e partie partie du film est expédiée). Les vers des sables demeurent toujours très impressionnants, à une époque où l’usage des images numériques était quasi inexistant.
Des idées délirantes
Là où ça se gâte, c’est au niveau des ajouts et des idées farfelues disséminées ici et là. Le côté trash et répugnant de certaines séquences tout d’abord (le pustuleux baron, les valves cardiaques, les mutations de la Guilde…) : on est dans un mauvais goût assumé et étalé avec complaisance. Un goût pour le glauque qui sera une marque de fabrique de David Lynch dans ses films ultérieurs (mais de façon bien plus subtile). D’autres ajouts, tels que les armes soniques, laissent tout simplement perplexes et on se demande quelle est leur justification dans l’histoire. Et que penser des références à un univers gay et sado maso du côté harkonnen ? Que penser aussi du mysticisme bizarre du récit (« le dormeur doit se réveiller ») ?
Une histoire atrophiée
Autre point problématique, le scénario. Il était complément illusoire d’adapter un pavé comme Dune en 2h15, le récit est donc forcément haché, précipité, bâcle… Les enjeux socio-politiques simplifiés à l’extrême, les personnages à peine présents (quand ils ne sont pas complètement supprimés). La fin du film (avec la pluie qui se met à tomber) a horrifié les fans de Frank Herbert et plongé les spectateurs dans la confusion. Il aurait sans doute fallu réaliser plusieurs films pour en venir à bout correctement (à noter qu’il existe une version TV de 3h, disponible dans le commerce)
Des passages grandioses, mais aussi du kitsch, du trash et des idées fumeuses : Dune est un film unique en son genre, un mutant qui n’aurait jamais dû voir le jour…
Pourquoi ?
Comment diable David Lynch (à l’époque, auteur de l’oscarisé Elephant Man) a pu se retrouver sur ce projet, avec le soutien de Dino et Raffaella de Laurentis ? Un des réalisateurs pressentis était Ridley Scott (nul doute que cela aurait beaucoup changé le cours des choses) mais des évènements imprévus en ont décidé autrement… Avec le recul, il est évident que David Lynch n’était pas le mieux qualifié pour gérer un projet de cette envergure…
En 1985, David Lynch s’est expliqué sur le tournage de Dune dans une interview (voir vidéo plus bas). Il ressort qu’il s’est réellement passionné pour le roman, mais qu’il n’était pas à la base un fan de SF. Le travail sur le script a pris 1 an et demi, et la révision du scénario s’est poursuivie pendant le tournage, avec des ajouts à la dernière minute et de nombreuses scènes coupées : ça révèle bien la difficulté (ou l’impossibilité) d’adapter Frank Herbert en film.
Dans une autre interview donnée en 2012 (voir ci-dessous), David Lynch avoue qu’il ne comprend pas pourquoi il a été choisi par Dino de Laurentis, et qu’il considère Dune comme son plus grand échec. Le tournage, étalé sur 3 ans, a été un véritable cauchemar, et il déclare aussi son écœurement de ne pas avoir eu de liberté artistique complète sur le film et la possibilité de faire ce qu’il voulait.
C’est sans doute la raison pour laquelle il ne fera que des films d’auteur à petit budget par la suite. En tout cas, ça ne l’empêchera pas de réaliser une belle carrière et de devenir un cinéaste reconnu !
De nombreuses vidéos (scènes coupées au montage, interviews…) sont disponibles sur la chaine Youtube de DuneInfo