Archives mensuelles : avril 2011

Sucker Punch : créatures célestes

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Quel étrange objet cinématographique est-ce là… Comme souvent, le film de Zack Snyder crée la polémique chez les cinéphiles, entre les fans enthousiastes et les critiques acerbes.

Comme pour Watchmen ou 300, on se trouve devant un film mutant qui casse les codes et on se demande si c’est du génie ou de l’esbroufe…

Bon, ça ne va pas être simple de parler de Sucker Punch.

Wikipedia nous explique qu’un sucker punch est un coup qui part sans prévenir au cours d’un combat, et qui fait très mal. Ce « coup craignos » est une technique de street fighting, complètement hors la loi.

Déjà on peut donc dire que Zack Snyder veut nous mettre un grand coup dans la figure, sans prévenir. Y parvient-il ?

Et bien oui et non…

Partons des faits. C’est l’histoire d’une jeune fille, internée de force par son beau-père, et traumatisée d’avoir accidentellement tué sa petite sœur. L’asile sordide où elle est enfermée (Lennox House) est une sorte de pension pour jeunes filles dérangées, où une doctoresse polonaise (Madame Gorski) tente de guérir ses patientes par le théâtre et la mise en situation (mais on n’est pas dans Shutter Island ! Quoique..). J’appelle cet asile le niveau 1, et il est filmé (comme il se doit), tout en teintes grisâtres et murs crapoteux.

Babydoll (Emily Browning), une poupée barbie qui porte bien son nom

Pour échapper à une réalité pénible et douloureuse, Babydoll (c’est son nom/surnom) s’invente une réalité alternative où elle n’est plus dans un asile mais dans une sorte de cabaret/maison close, où elle doit « satisfaire les clients » sous les ordres de la maitresse de danse, Madame Gorski. Cet environnement, plus pimpant, plus chaud et plus féminin, n’est guère mieux que l’asile, puisqu’un affreux boss y fait régner sa loi. Il s’agit de Blue, alter-ego du surveillant de l’asile. Appelons ce cabaret le niveau 2.

les filles du cabaret… de biens belles images ma foi

Pour finir, Babydoll imagine un niveau 3 au-delà du cabaret, où elle et ses copines danseuses se transforment en super-héroïnes et affrontent toutes sortes de monstres. Là on est confronté à toutes sortes d’environnements délirants, où les lois du bon sens et de la physique n’ont plus cours. Un vrai trip de Geek (on mettra des orcs et pis un dragon et pis un hélicoptère et pis des super meufs ninja…)

On est un peu dans Inception avec tous ces niveaux imbriqués, non ?

Si l’on se place d’un point de vue très premier degré, on peut dire que la réalisation est assez incroyable mais que l’histoire est simplette. Passé le plaisir de côtoyer de belles danseuses sexy (niveau 2), les Geeks que nous sommes ne pourrons que s’esbaudir devant les exploits de la team d’héroïnes qui paraissent tout droit sorties d’un manga et qui sont plongées dans une succession d’environnements fantastiques (monastère tibétain, guerre des tranchées, donjon façon Seigneur des Anneaux, train extraterrestre…) et massacrent des noobs à coups de sabres et de guns (et sans filer leurs collants !)

Les scènes de dialogue chez les danseuses paraissent à côté assez peu convaincantes, et on est conduit vers une fin assez prévisible (idée du sacrifice) avec un retour brutal au niveau 1.

Tout se résumerait donc à une pauvre fille qui se rêve une autre vie super-héroïque, et qui finit tragiquement… Diantre, c’est un peu décevant tout cela et on pourrait se dire, comme beaucoup d’autres : il y a de sacrées belles images, mais le scénario est bidon !

Et bien non…

Il a fallu quelques heures de réflexion et de digestion post film, ainsi que des lectures de critiques fort intéressantes (comme ici) pour se dire que ce film est nettement plus alambiqué qu’il n’y parait.

A PARTIR D’ICI CA SPOILE GRAVE

Ça me fait le même effet que lorsque j’étais sorti de Watchmen en me disant « Qu’est-ce que c’est que ce truc » avant d’en apprécier la richesse et la sophistication…

Comme Christopher Nolan avec Inception (pour ne prendre qu’un exemple récent, mais il y en a eu d’autres), Zack Snyder s’ingénie à nous montrer que l’histoire qu’il nous montre est une histoire rêvée. Sauf que la rêveuse n’est pas celle que l’on croit (Babydoll) mais plutôt son alter ego (Sweet Pea). Il y a de nombreux indices qui convergent vers ce twist (qui ne twiste pas d’ailleurs mais se fait progressivement, tout au long du film). Par exemple de nombreuses chansons portent des noms évocateurs : « Where is my mind » (reprise des pixies), « Sweet Dreams » (reprise de Annie Lennox -> Lennox Asylum ?), « Army of me » (chanson de Bjork -> référence à la team de superhéroïnes). Rien que le fait que toutes les chansons du film soient des reprises est étrange et devrait attirer l’attention. Qu’est-ce qu’une reprise sinon un artiste qui interprète la création d’un autre ? Qui tire les ficelles alors ?

Notez le fait que c’est Sweet Pea que nous découvrons en premier dans le « Théâtre » du docteur Gorski (niveau 1),  en pleine thérapie, et que le docteur lui demande alors de « contrôler son monde » et de « libérer son chagrin », tout en lui passant de la musique (ce qui renvoie directement au cabaret du niveau2). Juste après, Sweet Pea croise le regard de Babydoll, qui vient d’entrer dans la salle. On s’attend à voir alors Sweet Pea suivre les consignes du docteur, sauf que l’on passe à une autre scène. Et si à partir de ce moment-là, on était dans le monde imaginaire de Sweet Pea  ?

On peut noter aussi que Sweet Pea porte les mêmes initiales que Sucker Punch C’est donc d’elle que doit venir le « coup dans la face ».

Sweet Pea (Abbie Cornish), la vraie héroïne de Sucker Punch

La vraie héroïne du film c’est donc Sweet Pea, et d’ailleurs c’est elle qu’on entend en voie off en ouverture et en clôture. La Babydoll que l’on voit dans le film est une projection mentale. Les autres girls sont Rocket, une re-création de la sœur de Sweet Pea, et des acolytes assez insignifiantes (cf la chanson Army of me) qui ne servent qu’à faire du nombre et sont des répliques d’autres filles de l’asile, animées par le subconscient de Sweet Pea.

Voilà en gros le pitch, mais ça se discute, on doute, on ne sait plus que croire.

Tout ceci est tellement tarabiscoté que le sucker punch, on ne le reçoit pas vraiment (à part pour les naïfs qui croyaient que la fille ne serait pas trépanée à la fin).

Zack Snyder est très doué pour les FX et les scènes de combat fantastiques, mais nettement moins pour les dialogues entre les pensionnaires du cabaret. Il y a aussi quelques lacunes qui pourraient solidifier l’édifice et qui font qu’il manque un peu de solidité. J’ai aussi nettement l’impression que des morceaux de l’histoire sont mis dans le désordre, de façon à brouiller les pistes.

Ce qui est sûr , c’est que ce film doit gagner à être revu…

Sans parvenir au niveau d’un Brazil de Terry Gilliam, par exemple (où l’on trouve aussi un Samourai géant), il y a quand même de très bonnes idées et de vraies trouvailles de mises en scènes pour évoquer l’idée de quelqu’un qui s’échappe en esprit.

Par contre le côté « je laisse des indices partout pour vous faire deviner ce que je veux vous montrer » est un peu maladroit, et d’ailleurs la plupart des spectateurs (moi y compris) passent complètement à côté du message de Zack. On est loin de la mécanique irréprochable d’un Shutter Island ou d’un Inception ! Est-ce très habile ou complètement raté, je ne vais pas trancher… Il manque un petit quelque chose qui aurait fait de ce film un chef d’œuvre.

Black Death : noir, c’est noir

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Tout comme Neil Marshall avec son Centurion, Christopher Smith (Creep, Severance) a été victime d’une mise à l’écart incompréhensible, et son Black Death (réalisé en 2009) ne sort que maintenant, et directement en vidéo…

C’est proprement scandaleux de voir la frilosité des distributeurs, devant ce qui s’avère un bon film d’aventure médiéval (qui véhicule, il est vrai des messages pas très grand public). Black Death aurait mérité les honneurs du grand écran, espérons qu’il va connaitre une seconde vie à travers la location vidéo et la diffusion sur le net.

Cela se passe au XIVe siècle, à une période pas très joyeuse où sévissait la Peste Noire (d’où le titre). Un jeune moine, Osmund, décide de se joindre à un groupe de guerriers qui est en quête d’un village mystérieusement épargné par la peste, où sévirait un nécromancien. Voilà l’occasion de retrouver Sean Bean (inoubliable Boromir) et son attirail de chevalier (avant de le voir bientôt dans le Trône de Fer), ainsi qu’une belle brochette de trognes médiévales.

Black Death fait penser au 13e Guerrier, à la Chair et le Sang et même au Nom de la Rose, car Christopher Smith arrive à mettre en place un Moyen-Age réaliste et cru, sans faire appel à des moyens exagérés (on n’a pas des armées de 10000 figurants qui se foutent sur la gueule ou des villes reconstituées en images de synthèse). Ca sonne vrai, et on n’a pas du tout, mais alors vraiment du tout d’être coincé dans cette époque de massacres en tout genre, chasse aux sorcières et peste mortelle.

Sean Bean dans Black Death, Boromir style…

L’ambiance n’est pas vraiment à la rigolade… Mais alors que dire du scénario ! C’est rare de voir une fin aussi désespérante et cruelle, qui va à contrecourant de tout ce qui se fait dans les produits calibrés pour un public familial (c’est peut-être aussi pour ça que le film est passé en Direct to Video).

C’est clair que les faits présentés par Christopher Smith, ne sont pas fait pour plaire à tout le monde. On n’est pas ici dans la confrontation attendue entre des Forces du mal et des Chevaliers guidés par Dieu mais dans un contexte beaucoup plus nuancé, et aussi beaucoup plus éprouvant, car finalement plausible. Le message n’est pas très agréable à recevoir, quel que soit le camp pour qui on éprouve de la sympathie ! Tous des enfoirés de première, y compris notre jeune moinillon, dont le destin sera pour le moins discutable…

une belle brochette de durs à cuire

Bref, Black Death n’est pas le film idéal si on recherche de l’action facile et un moyen de se reposer le cerveau. Si on veut passer un bon moment, ce n’est forcément ici qu’il faudra le chercher. Par contre si vous recherchez un film bien glauque et bien dérangeant, welcome ! A noter la prestation irréprochable de Sean Bean, en chevalier dur à cuir et prés à tout pour mener sa quête à bien. Il joue là un homme de principes, mais qui n’hésite pas à faire ce qui doit être fait, un rôle très proche de Lord Eddard dans le Trône de Fer… Une autre prestation qu’on pourra bientôt visualiser !

Christopher Smith montre encore une fois qu’il sait utiliser une caméra et tirer partie du casting et des environnements mis à sa disposition. Tout le film baigne dans une lumière grise et une atmosphère inquiétante et parfois irréelle, d’autant plus troublante que cette époque peuplée de fanatiques en tous genres a réellement existé…